QU'ES CE QUE LA REVOLUTION ?

Publié le par Patrick Kaczmarek

Il est émouvant d’introduire avec beaucoup d’humilité, une journée de réflexion consacrée aux questions suivantes : qu’est ce que la révolution ? Qu’est ce qu’une révolution ? Qu’y a-t-il de révolutionnaire dans un mouvement populaire ? Je m’efforcerai d’esquisser une réflexion en relevant le défi sur ¼ heure. Nous proposerons une analyse qui tentera de globaliser philosophie, histoire et politique.

Il y a eu des émeutes, des révoltes, des jacqueries, des luttes de libération anticoloniale, il y a eu des « révolutions » fascistes  (Mussolini, Peron, Hitler). Il y a des « révolutions » islamistes.

 

Les masses font l’histoire mais les peuples n’ont pas toujours raison. Y-a-t-il confusion inhérente au terme révolution ?

Nous allons essayer d’y voir plus clair.

 

Mon propos sera structuré en trois temps :

Que signifie le mot révolution ?

Comment le concept s’est-il décliné au fil de l’histoire ?

Quelles sont les enjeux révolutionnaires actuels ?

 

Je pense qu’il y a eu peu de révolutions dans l’Histoire de l’Humanité mais une forme archaïque de révolution retient mon attention. La révolte des esclaves de Spartacus qui en revendiquant radicalement le droit à la dignité s’attaque au mode de production de l’époque : l’esclavage ; c’est en quoi cet événement peut être retenu comme mouvement révolutionnaire avorté.

 

Mais n’en restons pas là.

 

Pour simplifier sans être simpliste, nous allons partir d’un système référentiel d’une prise de parti, soyons clairs du marxisme, pour qui la révolution est un changement de mode de production selon un mode plus ou moins brutal :

-       Soit la maturation d’une révolte bourgeoise anti féodale

-       Soit à partir d’expériences nationales (Cuba, Vietnam, Algérie, la Chine).

-       Soit dans le développement des expériences révolutionnaires menées à partir de principes idéologiques issus du Marxisme dans le cadre de l’internationalisme. C’est l’époque où l’internationale, les internationales dictent aux peuples la marche à suivre. On peut y inclure la révolution soviétique.

-       Mais aussi le processus révolutionnaire peut s’inscrire dans le cadre d’un dépassement du capitalisme amenant à sa liquidation, à la fin de son rôle historique. Cela dépend du niveau de démocratie au moment historique donné nécessitant une résolution révolutionnaire.

 

Ainsi le point de rupture révolutionnaire est-il le moment où les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants. Ce point est un point de rupture tant économique que sociale, philosophique. A cette contradiction s’ajoute la remise en cause de l’expression juridique qui s’appuie sur un certain type de propriété.

Les forces productives en se développant dénoncent les entraves au développement économique. La lutte de classe devient la locomotive de l’histoire.

 

La révolution ne doit pas être réduite à un changement plus ou moins brusque et violent de la structure politique et sociale d’un état. L’auteur du capital ne doit pas être réduit à un économiste même si Alain Minc reconnait qu’il est le premier à déceler la dynamique intrinsèque du capitalisme.

Sa connaissance du réel a mis en évidence l’importance de l’analyse économique de la société dans tous ces aspects : le développement du mode de rapport social est dominé par les rapports sociaux qui engendrent l’aliénation de la conscience. C’est non seulement économiquement que Marx (1818-1883) fonde sa demarche, c’est en tant que philosophe mais aussi anthropologue en retournant toujours à l’homme concret.

 

Quand a-t-on affaire à une révolution ? En Histoire un marxiste ne va pas s’intéresser à la personnalité des protagonistes, à leur caractère, à leur religion. Il va s’attacher à comprendre l’organisation de la société. Pour Engels la révolution industrielle a la même importance pour L’Angleterre que la révolution politique pour la France et la révolution philosophique pour l’Allemagne. Mais tout pointe la prise de pouvoir et enfin de compte la nature de l’Etat. Les masses se révoltent contre les autorités en place et prennent le pouvoir mais qui dirige les masses ou impulse le mouvement, la prise du pouvoir. Faut-il un Parti d’avant-garde ? Qu’est-ce que signifie être un parti d’avant-garde.

A ce moment je vais me permettre d’insister sur une expérience historique que je qualifie de révolutionnaire mais qui est peu connue. C’est la révolution de Saint Domingue ancienne Haïti menée par Toussaint L’ouverture né en 1743 affranchi à 33 ans par son maître acquérant ainsi une plantation qui lui assure une aisance bourgeoise. En 1791 il devient un meneur de la révolte des esclaves noirs (on pense à Spartacus). Il s’allie à l’Espagne contre la France colonisatrice. Le 29 aout 1793 il fait cette sublime déclaration : « J’ai entrepris la vengeance de ma race. Je veux que la liberté et l’égalité règnent à saint Domingue. Unissez-vous mes frères et combattez avec moi pour la même cause. Déracinez avec moi l’arbre de l’esclavage ». Il rejoint alors la république française en 1796. Il meurt au fort de Joux en 1803 fait prisonnier par Napoléon dans des conditions lamentables peu de temps avant la déclaration de l’indépendance. J’ai pu visiter avec une émotion qui persiste, sa cellule dans le Jura. Chaque révolution s’incarne dans une personnalité avec tous les risques que cela comporte et qui n’ont pas été évités pour la plupart.

 

Avoir une conviction révolutionnaire ce n’est pas avoir la rage de convaincre en soumettant c’est ressentir la passion de vouloir améliorer le sort de l’humanité et croire au bonheur. C’est en cela qu’il faut créer les conditions de l’union populaire (et non de l’unité) dans un objectif de prise de pouvoir, pour instaurer un nouveau régime politique constitutionnel économique et juridique. Le marxisme est confronté à la tâche théorique de rendre intelligibles les conditions actuelles d’une rupture révolutionnaire effective avec les nouvelles formes de domination et d’exploitation de l’hyper capitalisme mondialisé et financiarisé.

A chaque époque révolutionnaire se pose le problème de l’union populaire sur des objectifs clairs qui sont devenus anticapitalistes.

Quelle est la portée internationale d’une révolution nationale et comment une révolution nationale peut-elle se nourrir ou pas d’un mouvement international ? Autrement dit comment au 19e siècle et 20e siècle les révolutions nationales se sont-elles intégrées dans un mouvement international ? Comment poser la question actuellement ?

 

C’est le moment de faire allusion à la participation de Marx à la première internationale (ou AIT) en 1864 à Londres. Il en rédige l’adresse inaugurale ainsi que les statuts. Cette première internationale va être le cadre d’un conflit sévère entre Karl Marx et les anarchistes animés par Bakounine expulsé en 1872. A ce sujet je vous conseille la lecture de deux ouvrages de Jacques Duclos : le premier intitulé banalement « la Première Internationale » (1964) et son volumineux ouvrage intitulé « Ombre et lumière » (1974) consacré aux différents entre Bakounine et Marx. Suivra pour votre gouverne la deuxième internationale fondée à Paris en 1889 par Engels. C’est l’internationale ouvrière sociale démocrate qui disparait en 1923. Suivra la troisième internationale Stalinienne. Trotski convoquera la quatrième. L’histoire de l’internationale c’est l’histoire de la pénétration du marxisme dans le mouvement prolétarien de masse.

Il est peut être temps de refonder l’internationalisme anticapitaliste.

Comment  formuler la nécessité historique de la révolution dans l’Europe et dans le monde à l’heure de la mondialisation. La mondialisation n’est pas la victoire du capital. C’est le stade par lequel il doit passer pour que l’histoire du prolétariat au sens moderne devienne universelle, comme l’avait envisagé Karl Marx. Le contenu du mouvement ou des mouvements populaires ne se répète pas à l’identique. Au fil de l’histoire ceux-ci élaborent de nouvelles aspirations : développement de la démocratie, nécessité écologique, intégration de nouvelles technologies comme le numérique, une bioéthique renouvelée par la génétique et la réflexion sur la mort, l’émancipation féminine, la révolution sexuelle, les lanceurs d’alerte.

 

«La philosophie doit inquiéter la frontière entre le réel et l’utopie, entre le nécessaire et le possible, la philosophie permet de voir les choses autrement que comme elles se présentent dans les discours dominants… l’activité la plus haute de la raison est consacrée à l’ouverture du possible ».

 

La notion de révolution n’a pas chez Marx et Engels (1820-1895) une signification très différente de celle que lui donne l’usage courant. Employé seul, le terme désigne le plus souvent le projet politique des communistes, qui sont des révolutionnaires organisés dans un parti révolutionnaire : il suit alors les différents projets politiques auxquels les communistes se sont identifiés, tout en maintenant l’accent sur la première phase de réalisation de ce projet, le renversement de la classe capitaliste et des institutions politiques générales dans et par lesquelles s’exerçait son pouvoir. C’est à ce stade que le révolutionnaire se rappelle qu’il est radical en ce qu’il ramène tout à la racine et que la racine c’est l’homme.

 

Notre définition générale est d’emblée fortement déterminée par la référence historique à la Révolution française de 1789 conçue comme un processus politique et social de longue durée, comme un moment prenant place dans une sorte de philosophie de l’histoire :  « Toute révolution dissout l’ancienne société ; en ce sens elle est sociale. Toute révolution dissout l’ancien pouvoir ; en ce sens elle est politique ».

Définir un programme pour la prise du pouvoir peut être révolutionnaire mais on sait que la programmation ne se suffit pas en elle-même. Elle doit s’appuyer sur  toutes les formes de luttes. Réaliser un programme ce n’est pas s’inscrire dans une démarche programmatique comme l’a été l’expérience du programme commun qui ne s’est pas appuyée sur les luttes. Contrairement à Mai 68 qui s’est constitué de luttes revendicatives sans programme.

 

La révolution d’Octobre aura donné un nouveau modèle de révolution. Lénine imprégné du marxisme s’est posé comme responsable devant l’Histoire la question essentielle : Que faire ? C’est là que devient incontournable le manifeste du Parti Communiste. Ce manifeste est un essai politico-philosophique commandé par la Ligue des Communistes, ancienne Ligue des Justes, écrit fin 1847 début 1848 avec Engels. Marx et Engels veulent donner les fondements scientifiques et durables à toute action révolutionnaire en révélant et intronisant le rôle de la classe ouvrière ce qui impose une actualisation de l’analyse sociologique de nos sociétés. Patrick Le Hyaric à l’occasion du 160ème anniversaire du manifeste, écrit : « C’est un fait que les travailleurs – au sens large du terme – en y incluant les travailleurs manuels, intellectuels et les forces de la création sont aujourd’hui désunis. La « diversification interne du salariat », en langage sociologique, complexifie la formulation même des antagonismes de classes et favorise la fuite en avant des stratégies de survie individuelle. C’est un défi lancé au communisme de notre temps : fédérer, solidariser le salariat et l’ensemble du monde du travail, les exploités et les dominés à l’intérieur des pays et à l’échelle du monde dans un mouvement irrésistible, permettant de faire naître un projet commun, un monde commun aux êtres humains, sur une planète préservée ». Cette analyse proposée à la conscience des peuples impose une prise de parti au sens moral. Cette prise de position morale peut et même doit imposer une prise de position politique. Cette prise de position politique amène à se demander si il est légitime pour des révolutionnaires de participer à une cohalition gouvernementale hétérogène mais garantissant l’accession à des seuils de rupture partielle avec le capital. Ce qui correspond à bien des expériences contemporaines.

Je me suis dit qu’il me fallait en conclusion de cette contribution me référer au projet de base commune proposé aux communistes dans le cadre de la préparation de leur congrès en Novembre 2018.

On y trace les chemins révolutionnaires dans la France de notre temps où existe une puissante aspiration populaire à de grands changements. Hélas le mouvement populaire reste trop faible. Développer la conscience de classe est un enjeu stratégique.

Je vais citer in extenso quelques passages du projet de base commune pour faire le passage entre le concept et la nécessité probable d’aujourd’hui.

 

« C’est dans les luttes concrètes, sur les terrains, que se construisent les possibilités d’un dépassement réel du système capitaliste. C’est le mouvement réel, dans ces luttes et dans le combat pour y porter des alternatives que s’ancre notre stratégie révolutionnaire, ce processus multiforme fait de succès partiels mais aussi de possibles reculs, de victoires de longue portée et de ruptures, d’élévation progressive des objectifs de conquête à mesure que se construisent et évoluent les rapports de forces.

 

Tout le pouvoir ne réside pas, ni n’a vocation à résider dans l’Etat. Les lieux de pouvoir sont pluriels. Nous visons la conquête de pouvoirs des salarié-e-s à l’échelle de l’entreprise. Nous visons la conquête de pouvoirs dans les différentes institutions, trop souvent fermées à l’initiative et au contrôle populaires. Nous visons la conquête de pouvoirs dans les collectivités. Dans ce sens, nous aspirons à une décentralisation des pouvoirs au plus près des citoyennes et des citoyens et nous mobilisons contre le démantèlement de la démocratie de proximité.

 

L’Union européenne est devenue, par sa construction au service des marchés et sous domination des grandes puissances, un niveau clé de la lutte de classe. Pour nos peuples et pour changer le cours de la mondialisation, des transformations fondamentales dans ses orientations, institutions financières et de coopération politique – donc des ruptures avec les traités actuels – sont un objectif stratégique. Nous nous battons à la fois pour une autre politique de la France en Europe, et pour des fronts européens dans les institutions et en dehors d’elles. Nous pensons notre action à l’échelle continentale avec le Parti de la gauche européenne, le groupe GUE/NGL et toutes les coopérations progressistes engagées jusqu’ici et à engager dans la prochaine période pour ouvrir des fronts victorieux.

 

Face à un capitalisme mondialisé, nous pensons notre action à l’échelle mondiale, avec les forces politiques progressistes mais aussi les mouvements de la société émancipateurs. La part internationaliste de notre combat doit être renforcée face à des stratégies, pensées et mises en œuvre à cette échelle.

Le capitalisme prend les allures d’une forme de dictature de la pensée dont l’ambition est d’imposer son hégémonie culturelle en s’emparant des imaginaires. Des œuvres, des langues, des lieux, des festivals, des artistes disparaissent tandis que de grands groupes globalisés font main basse sur la production artistique, sur les médias et le web.»

 

La révolution peut-être considérée au sens grec du terme comme une tragédie c'est-à-dire éminemment humaine en ce sens qu’elle est affrontement de conviction et de pulsions tectoniques et qu’elle vient de la réalité la plus profonde de la condition humaine.

 

La révolution ne peut être que la réalisation probable d’une nécessité.

 

Plus simplement disons avec le commandant Marcos que les révolutionnaires seront toujours du côté de la réflexion et du cri.

 

Patrick KACZMAREK

23 juin 2018

Introduction à la journée éducative

Consacrée à la révolution et aux révolutions

Fédération Somme PCF

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