L’orgasme des femmes est-il toujours aussi mystérieux ?
Publié le par Patrick Kaczmarek
Longtemps secret et méconnu, ouvertement incompris par Freud qui accepta de ne pas pouvoir atteindre le « continent noir », revendiqué par le combat féministe du XXe siècle, l’orgasme des femmes est-il toujours aussi mystérieux de nos jours ?
Les controverses
Alors que l’orgasme masculin n’a jamais vraiment suscité de controverses ni de débat particulier, celui des femmes est l’objet d’une interrogation permanente depuis le milieu du XIXe siècle. Il est quasiment possible de lire l’histoire récente des femmes au travers des grands débats d’idées qui nous agitent depuis près de deux siècles sur la nature de leur jouissance, vaginale ou clitoridienne (1).
Pendant longtemps, la seule jouissance admise pour une femme adulte est celle du vagin, et le combat féministe de la deuxième moitié du XXe siècle passera par la réhabilitation du clitoris, organe dénigré par Freud et les psychanalystes. Pour les féministes, les femmes ne sont pas des hommes castrés, et leur clitoris n’est pas un pénis atrophié ne concernant que la petite fille, mais bien le vivant témoignage de leur sexualité adulte. Les polémiques de la fin du XXe siècle sur l’existence d’un point G, viendront renforcer la confusion. Les femmes sont-elles bien coupées en deux, voire en trois selon leur mode de jouissance ou la compétence de leur point G ?
Anatomie
Assez bizarrement, la meilleure connaissance anatomo-physiologique des organes génitaux féminins, révélée par le développement de l’imagerie médicale, ne permettra pas de dissiper totalement querelles et luttes partisanes.
Il est aujourd’hui admis par tous, principalement à la suite des travaux de l’urologue australienne Helen O’Connel (2), qu’il existe une unité structurelle entre anus, urètre, clitoris, et vagin. Nous savons maintenant, qu’il semble bien exister non pas un point précis, comme cela avait pu être identifié avec le point G en 1981, mais bien plutôt une zone du vagin de sensibilité particulière, et faisant partie d’une véritable entité anatomo-fonctionnelle dédiée au plaisir, et reliant vulve, vagin, urètre, anus et clitoris.
La face antérieure du vagin, dont l’innervation est bien supérieure à celle de ses autres segments, joue le rôle d’un organe actif, permettant la transmission de l’excitation vers le clitoris au moyen de l’étirement des ligaments qui s’y insèrent, pendant les mouvements de va et vient. La sensibilité de cette zone spécifique pourrait s’expliquer par le fait que les corps clitoridiens peuvent descendre et venir s’adosser sur la partie basse de la face antérieure du vagin lors d’une contraction réflexe ou volontaire des releveurs de l’anus, comme l’ont démontré en 2007 et 2009 Pierre Foldes et Odile Buisson (3). La sensibilité particulière de la zone élargie autour de ce qui avait été décrit comme le point G., serait donc liée à son ampliation, elle-même provoquée par la protrusion des corps caverneux du clitoris se gonflant, et descendant en venant s’y adosser au cours des mouvements de va et vient. Des phénomènes de pression vasomotrice viennent s’y exercer, en interaction avec ceux, neuromusculaires, déjà décrit par Shafik en 2000 (4).
Mais, si tous aujourd’hui, s’accordent sur la réalité anatomo-physiologique du bloc clitoris/vagin/ vulve/ urètre/ anus, et sur l’implication de ces différentes structures dans le processus orgastique, il subsiste encore certaines zones d’ombre sur son déclenchement. Pour V. Puppo (5), par exemple, contrairement à H. O’Connell, il n’y aurait possibilité de l’activer, et donc de déclencher un orgasme, que par la stimulation du clitoris.
Les femmes ne sont pas « vaginales » ou « clitoridiennes ». Il n’existe qu’un seul orgasme féminin. Son point de déclenchement peut être très varié, vaginal ou clitoridien, mais aussi par étirement vulvaire, stimulation anale, mammaire ou encore fantasmatique… . Dans tous les cas, ce sont les mêmes structures génitales qui s’activent, plus ou moins profondément et permettent de jouir.
Cerveau, hormones et motivation sexuelle
Les organes génitaux ne sont pas seuls en cause dans le déclenchement de l’orgasme, et nous en connaissons mieux aujourd’hui les enjeux cérébraux, hormonaux, cognitifs et motivationnels.
Mah et Binik (6) avaient démontré en 2001 que le premier orgasme d’une femme est toujours déclenché par l’excitation de ses organes génitaux externes. Mais par la suite, il a été largement mis en évidence que d’autres zones érogènes peuvent fréquemment intervenir dans le déclenchement des suivants, et que la stimulation peut même être uniquement mentale. B. Whipple et BR Komisaruk (7) ont même démontré la capacité de réorganisation des zones érogènes au niveau des structures corticales chez les femmes paraplégiques après blessure médullaire.
L’implication des structures sous corticales et du système limbique semble, tout particulièrement chez la femme, faire de l’orgasme un processus principal réflexe non conscient, sous tendu par une expérience affective et émotionnelle, qui se renforcerait en fonction du cycle et du statut hormonal. Le cortex préfrontal est connu pour son rôle de modulation cognitive permettant ou non la diffusion de l’excitation et la progression de l’orgasme. Sans son feu vert, impossible de se laisser aller à la jouissance. En particulier, pour que les impulsions parviennent aux centres du plaisir et déclenchent l’orgasme, il faut que certains noyaux de l’amygdale, aient été préalablement désactivés. Quelle que soit l’intensité de l’excitation ressentie, une distorsion cognitive ou une pensée consciente peut à tout moment interrompre le processus et interdire l’orgasme.
Plusieurs hormones sont libérées au moment de l’orgasme. Si le rôle de la Dopamine est connu depuis longtemps dans les deux sexes, celui de l’ocytocine semble étroitement dépendant de la spécificité de l’orgasme féminin. On sait son importance chez la femme depuis longtemps, mais des recherches plus récentes nous ont aussi appris que l’ocytocine est libérée en grande quantité pendant l’orgasme et qu’inversement c’est l’importance de sa sécrétion qui détermine l’intensité de l’orgasme (8). Elle est libérée massivement lors des caresses, ou des massages. Nous savons depuis les travaux d’Elizabeth Lloyd (9) que sa sécrétion augmente avec le baiser, les caresses, les pensées amoureuses, le son de la voix aimée.
D’autres études récentes viennent renforcer l’idée du rôle clé des émotions, du sentiment amoureux et de l’attachement dans l’orgasme féminin, comme celle d’Ortigue (10), qui postule que la qualité et l’intensité de l’orgasme féminin dépendent de l’émotion amoureuse et sont sous tendues par l’activation de la partie antérieure gauche de l’insula. Les études les plus récentes s’attachent à mettre en évidence l’importance des facteurs cognitifs et des troubles de l’attachement chez les femmes ayant des troubles de l’orgasme, en particulier lorsque des pensées négatives viennent en perturber le cours (11).
Quelle est la place des dysorgasmies aujourd’hui ?
Le DSM-5 définit les troubles de l’orgasme comme « un délai ou une absence persistante et récurrente d’orgasme à la suite d’une phase d’excitation sexuelle normale ». Plusieurs points sont à reconnaître pour affirmer le diagnostic :
- le trouble orgasmique est à l’origine d’une souffrance marquée chez la femme
- il peut provoquer des problèmes interpersonnels.
- la dysfonction orgasmique n’est pas due exclusivement aux effets physiologiques directs d’une substance (donnant lieu par exemple à abus), d’un médicament ou d’une infection ou encore d’une affection médicale générale.
On estime actuellement, selon les critères du DSM-5, que les troubles de l’orgasme touchent entre 25% et 35% des femmes (12) (13) ; ce qui a été illustré par les résultats d’une enquête de 2015, menée notamment en France où l’on manque de données spécifiques (14).
Les situations cliniques sont nombreuses. L’anorgasmie peut être de type primaire ou secondaire. Elle peut s’avérer circonstancielle et ne se produire que dans certaines situations. Pour Kinsey, en 1953 (15), 20% des femmes qui n’ont pas d’orgasme avec leur mari, n’ont aucun problème pour en avoir avec leur amant). Toujours pour Kinsey, 25% des femmes qui n’ont pas d’orgasme en couple peuvent en avoir facilement seules. Elle peut aussi se révéler partielle et ne porter que sur la jouissance pendant les caresses, ou les situations de pénétration.
Qui sont les femmes qui ne jouissent pas ?
Apprentissage
Kinsey, dans son rapport de 1953 avait déjà bien établi que l’orgasme nécessite un apprentissage et que les anorgasmies sont moins fréquentes dans les tranches d’âges plus élevées. Les travaux plus récents confirment cette donnée, et il faut savoir expliquer aux jeunes femmes que si l’orgasme n’est pas au rendez-vous des premières relations sexuelles, cela viendra le plus souvent ultérieurement, avec l’expérience et le lâcher du corps progressif.
Des causes organiques ?
Pour certains auteurs, en particulier pour certains anatomistes, il pourrait y avoir, dans certaines anorgasmies des composantes anatomiques (distance clitoris-vagin). L’exposition aux androgènes dans la période prénatale a aussi été évoquée (16). Mais en règle générale les dysorgasmies sont largement influencées par des facteurs affectifs et émotionnels et/ou conjugaux.
Les dysorgamies primaires
Elles sont sous-tendues par le manque d’expérience, ainsi que par la difficulté à s’abandonner, elle-même souvent alimentée par des troubles de type psycho-affectifs. L’expérience du lâcher du corps nécessite d’avoir apprivoisé son vagin en tant qu’organe d’échange et de plaisir partagé. Et comment y arriver lorsque l’on est en défense
- contre soi (défaillance de l’image de soi, des images parentales…),
- ou contre la sexualité (peurs, tabous, rigidité de l’éducation, antécédents d’abus sexuels ou de violences, dysfonctions d’apprentissage et premières relations sexuelles traumatisantes…),
- ou encore contre l’autre et la relation à l’autre (problématiques d’attachements insécures et peur de l’abandon, masculinité jugée comme menaçante, dangereuse, voire méprisable…).
Les dysorgasmies secondaires
Elles renvoient principalement à des problématiques conjugales incluant les diverses déclinaisons des conflits de pouvoir, de partage de territoires, du désamour. Certaines dysorgasmies secondaires peuvent faire suite à des interventions gynécologiques, ou se produire dans des périodes dépressives ou de Burn-Out. Il peut aussi arriver que la dysfonction du partenaire soit à l’origine de la dysorgasmie féminine (éjaculation précoce principalement, mais aussi dysfonction érectile).
Quelles solutions thérapeutiques ?
Les consensus d’expert (ICSM 2015 [16] et 2016 [17]) recommandent d’effectuer une évaluation soigneuse face à toute dysfonction sexuelle, évaluation qui doit tenir compte de la sexualité du partenaire, et de privilégier le rôle de l’information en première ligne.
Les dysorgasmies primaires, relèvent de prises en charge sexologiques et/ou psychologiques spécialisées, aujourd’hui renouvelées par la 3e vague des thérapies cognitives et comportementales qui privilégient la prise en charge des facteurs émotionnels. Quelquefois, des thérapies corporelles, de la sophrologie, de la relaxation, permettront d’y aider.
Les problématiques de couple s’amélioreront dans un grand nombre de cas avec des thérapies de couple centrées sur la communication.
Une information circonstanciée et éclairée est essentielle et souvent suffisante pour débloquer un très grand nombre de situations de dysorgasmies. En particulier, il est important de prévenir la patiente qu’il va lui falloir apprendre à être patiente avec son corps, et lui rappeler l’importance de l’expérience et du lâcher prise. L’excitation peut s’avérer fragile, et perdre son excitation n’est pas synonyme d’impossibilité d’orgasme, le plaisir des femmes se faisant souvent vagues après vagues
En cas de persistance des troubles malgré information et conseils, seule une sexothérapie de type intégratif est requise, alliant un soutien psychothérapique à une prise en charge sexologique, ainsi que le spécifient les recommandations internationales (19).
Conclusion
Nous avons aujourd’hui une meilleure connaissance anatomo-physiologique des mécanismes de la sexualité masculine et féminine. Les dernières données scientifiques nous ont surtout appris l’extrême sensibilité de l’orgasme féminin au contexte émotionnel et affectif. L’orgasme féminin n’est pas donné aux femmes, mais il s’apprend. Il nécessite d’entretenir un bon rapport avec son corps, et de ne pas redouter le partage et l’intimité, de pouvoir s’abandonner dans les bras de l’autre. Il faut parfois du temps pour y arriver, et les troubles de l’orgasme s’amendent très souvent avec le temps et la qualité de la relation intime.