Intervention à l'IHEDN sur le service national

Publié le par Patrick Kaczmarek

Texte pour le débat à l’IHEDN
(Institut des Hautes Études de la Défense Nationale)

le 6 juin 2015

Thème : Aux armes citoyens : Peut-on rétablir le service national ?

 

Le Mouvement de la Paix est une organisation pacifiste créée en 1949 par d’anciens responsables de la Résistance (Yves Farge, Lucie et Raymond Aubrac, Pierre Seligmann, …) Son objectif, compris dans le programme du Conseil National de la Résistance, était de prolonger en période de paix la cohésion nationale qui avait été celle de la Résistance et d’associer les Françaises et les Français au maintien de la paix et de la sécurité nationale et internationale dans le respect de la charte des Nations Unies. Ce n’est pas une organisation antimilitariste. Et nous restons très vigilants à maintenir la pluralité de nos membres et de nos débats sur un sujet aussi complexe que celui de la Paix.

La paix n’est pas un état, c’est une démarche, en construction permanente. L’objectif essentiel que nous visons est la sécurité humaine sous toutes ses formes, dans notre pays et dans le monde.

Notre débat aujourd’hui concerne le « service national » et non le « service militaire » : il est vrai que les alternatives à une activité purement militaire au cours du « service », avant sa suppression, avaient été largement élargies à des activités comme la coopération, la mise à disposition de volontaires diplômés dans des entreprises françaises à l’étranger, la mise à disposition à des associations, etc.

Dans notre société actuelle, l’individualisme est devenu la règle : c’est le règne du chacun pour soi, la mise en avant de la peur de l’autre, la présentation privilégiée par les médias de ce qui est négatif et/ou anecdotique, voire catastrophique. La financiarisation de la société est une des caractéristiques de cet individualisme militant. S’il est donc un besoin prioritaire pour notre société, c’est bien de développer tout ce qui concourt à la reconnaissance mutuelle de ses composantes dans leur diversité.

Le Mouvement de la paix se réfère en matière méthodologique et politique aux 8 domaines d’action de la Culture de la Paix tels qu’ils ont été définis et adoptés par les Nations Unies puis diffusés par l’UNESCO. Ces 8 domaines contiennent tous les éléments du vivre ensemble aux niveaux locaux, nationaux et internationaux, à la fois outils d’analyse et de recherche de solutions.

Par contre nous sommes très inquiets sur l’évolution des moyens militaires supposés apporter la paix et la sécurité. Nous assistons à une militarisation accrue des relations internationales et à des dépenses d’armements qui ont doublé en 10 ans au niveau mondial passant de l’ordre de 900 milliards de dollars à 1 800 milliards de dollars en 2014. Le budget de l’OTAN est plus de 100 fois supérieur à celui de l’ONU.

 

La conscription était d’abord un outil pour apprendre les techniques à utiliser en cas de guerre mais au travers de cela, elle était efficace pour opérer le brassage des cultures régionales et sociales. La forme des guerres a totalement changé en moins d’un siècle et l’ancienne formule du service est évidemment désuète. Le Mouvement de la Paix constate les nouvelles formes de guerres, incluant notamment les guerres économique, alimentaire, cybernétique et leurs nouvelles concrétisations incluant le terrorisme et la multiplication des conflits intra-étatiques. M. Bertrand Badie, qui intervient dans ce forum, parle dans son dernier livre de l’humiliation en tant qu’arme de guerre.

Dans un système mondialisé, une régulation internationale est nécessaire et cela passe aussi par l’approfondissement des liens entre des citoyens venant de pays différents. Un très bel exemple, concernant les étudiants, est celui du programme Erasmus qui concerne plusieurs centaines de milliers de jeunes chaque année. Pourquoi ne pas s’en inspirer pour organiser les échanges de militaires de différents pays pour consolider les relations pacifiques ?

Si nous devions établir les caractéristiques de ce que pourrait être un nouveau « service national », il y aurait bien sûr une part de formation à vocation militaire et une part de participation à un renforcement de la cohésion sociale, réellement nationale, avec toute une dimension internationale d’échanges et de solidarités. Cela inclut l’accueil des nouveaux migrants qui sont une chance pour notre pays à condition de ne pas se sentir rejetés.

Pour la part militaire, j’avoue avoir trop de lacunes pour en dessiner le contour. Par contre, elle devra comprendre les effets de la diminution de la place de l’armement nucléaire dans notre stratégie, comme notre pays s’y est engagé en signant le TNP, Traité de Non-Prolifération nucléaire. Mais cela fait l’objet d’un autre débat dans ce forum.

En ce qui concerne la participation à la cohésion nationale, les huit domaines d’action de la Culture de la Paix définis par les Nations Unies devront inspirer l’ensemble des contenus des activités labellisées « Service national ».

L’armée nationale doit être une armée citoyenne pour défendre nos intérêts sur le sol national, sous le contrôle du Parlement. Toute intervention à l’étranger ne peut se faire qu’à la demande de l’ONU et sous son contrôle. Le Secret-Défense doit être contrôlé par des parlementaires dûment mandatés à cet effet. Une initiation à la Charte des Nations Unies serait un minimum.

L’industrie d’armement doit être aussi nationale pour des raisons évidentes de sécurité. Les exportations d’armes ne peuvent se conclure que si le pays client n’envisage leur utilisation que dans un strict usage national excluant toute agression contre son propre peuple et contre d’autres pays. Les jeunes pendant leur service national pourront aussi travailler à la reconversion partielle des industries d’armement vers des produits pour le civil. En cette année de COP21 à Paris, on ne peut pas ne pas mentionner la lutte pour l’environnement : les jeunes pourront travailler à la diminution de la considérable pollution d’origine militaire, qui ne figure d’ailleurs pas dans les documents du GIEC.

Nous demandons un grand débat national, sanctionné par un vote, sur l’utilité d’un authentique « service national » et sur ses modalités. Il est temps que les questions militaires sortent du domaine réservé du Président de la République et que l’armée cesse d’être la grande muette.

Une partie des jeunes concernés pourront sans doute trouver leur place au sein de l’outil militaire. Mais un service national pour nous ne peut se concevoir que pour participer à un renouveau de la vie citoyenne et démocratique dans notre pays. Une partie des moyens humains et financiers pourront abonder les associations citoyennes d’éducation populaire et de solidarité internationale existantes, avec des moyens de nature à rendre ces activités plus formatrices. Les jeunes concernés bénéficieront de la reconnaissance financière de leurs activités. Si on se base sur les huit domaines d’action de la Culture de la Paix, il y a là matière à renforcer un tissu associatif et de vie citoyenne pour réaffirmer la cohésion sociale et éviter à plus long terme des fractures qui ne peuvent que remettre en cause l’unité de la nation française.

 

Un service national renouvelé, vraiment national, ouvert aux filles et aux garçons, doit devenir un moment privilégié de socialisation et de prise de conscience de ce qu’est la nation française dans toutes ses composantes, avec sa devise Liberté, Égalité, Fraternité à laquelle j’ajouterai Laïcité.

Je vous remercie.

 

Yves-Jean Gallas

6 juin 2015

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