interview Elias Sambar - Humanité 16/05 «?Les donneurs d’ordres israéliens doivent être jugés?»

Publié le par Patrick Kaczmarek

Entretien in l’Humanité 16 mai 2018

ISRAËL-PALESTINE

Elias Sanbar :

« Les donneurs d’ordres israéliens doivent être jugés »

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR STÉPHANE AUBOUARD  

Palestinians clash with Israeli security forces after a protest marking Nakba, or "catastrophe", commemorating the more than 700,000 Palestinians who fled or were expelled in the 1948 war surrounding Israel's creation, and against the US' relocation of its embassy from Tel Aviv to Jerusalem, at the Hawara checkpoint south of Nablus on May 15, 2018. / AFP PHOTO / JAAFAR ASHTIYEH

Entretien. Après les tueries de Gaza, Elias Sanbar, ambassadeur de Palestine auprès de l’Unesco, milite pour une reconnaissance rapide de l’État palestinien. Une saisine de la justice internationale est à l’ordre du jour.

Après le massacre de Gaza, qu’attendez-vous de la communauté internationale ?

Elias Sanbar D’abord, je veux dire que le temps est venu d’appeler les choses par leur nom et cesser de parler de massacre. Ce qui s’est passé ce lundi est un crime de guerre. Or, un crime de guerre suppose des responsables qui doivent être envoyés devant la Cour pénale internationale (CPI). Je crois savoir que l’Autorité nationale palestinienne s’apprête à engager une saisine de la CPI. Depuis 2015, nous avons tous les droits légaux formels et procéduraux pour saisir cette cour. La terre entière a vu ce lundi près de 35 000 personnes faisant face à une armée suréquipée et qui a tiré sur elle comme dans un champ de foire. Ce n’est pas acceptable ni accepté. 2 800 personnes ont été blessées et 61 assassinées – il n’y a pas d’autres termes – par cette armée d’occupation, dont une dizaine d’enfants et un bébé de 8 mois mort après avoir absorbé des gaz lacrymogènes envoyés par des drones. L’impunité doit cesser. Les donneurs d’ordres de ce crime de masse doivent être connus et jugés, à l’exemple des criminels de guerre de l’ex-Yougoslavie. Et même si nous savons déjà que les États-Unis pourraient empêcher toute enquête émanent du Conseil de sécurité, il faut maintenant lancer la procédure. Rien ne nous empêche de réclamer la tenue d’une enquête menée par des parties tierces et indépendantes. En ce sens, l’appui de pays amis est attendu.

Ces crimes peuvent-ils justement accélérer la reconnaissance d’un État palestinien par quelques pays qui pèsent sur la scène internationale ?

Elias Sanbar Le fait est que le temps de la reconnaissance est arrivé. Une telle décision ne serait pas que symbolique. Cela placerait les deux parties, Israël et Palestine, sur un pied d’égalité du point de vue politique et diplomatique. Un dialogue deviendrait alors possible. Il faut donc sortir de cette situation mettant aux prises un État puissant profitant d’un rapport de forces inégal pour imposer sa politique de colonisation, et une représentation palestinienne qui a du mal à faire entendre sa voix. Or, des pays existent déjà dont les Parlements ont voté le principe de reconnaissance d’un État palestinien. C’est le cas de l’Angleterre, de la France et des pays scandinaves. Il s’agit donc aujourd’hui de courage politique de la part des chefs d’État et de gouvernement de ces pays pour aller de l’avant et sortir du silence. Car enfin, un État reconnu est plus difficile à liquider qu’un État non reconnu.

Outre l’inauguration de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem-Ouest – allant à l’encontre de tous les accords internationaux –, quelles sont les racines de cette mobilisation de la population gazaouie ?

Elias Sanbar L’inauguration de cette ambassade, provocation indécente de Donald Trump, a certes agi comme un déclencheur. Mais elle a surtout coïncidé avec soixante-dix ans de négation du droit d’un peuple (hier, les Palestiniens commémoraient la Nakba, « la Catastrophe », l’exil de 750 000 d’entre eux en 1948, pendant la guerre israélo-arabe qui aboutit à la fondation de l’État d’Israël – NDLR). Aujourd’hui, il y a 13 millions de Palestiniens. 60 % d’entre eux vivent en exil, soit dans les camps de réfugiés, soit à travers le monde. C’est donc la conjonction de ce terrible anniversaire avec cette provocation qui a joué. On me dit que le Hamas et d’autres forces politiques chevauchent la vague… Peut-être est-ce vrai. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’aucun parti politique n’est à l’origine de ce mouvement populaire.

 

Quelle responsabilité imputez-vous aujourd’hui au camp occidental ?

Elias Sanbar Il y a les États-Unis et l’Europe que l’on doit toujours distinguer. Washington est aux mains d’un apprenti sorcier téléguidé par une extrême droite millénariste. Toutes les décisions de la Maison-Blanche dans la région sont le fruit d’une stratégie assumée pour gagner les élections de mi-mandat. Près de 78 % des juifs américains ont exprimé leur mécontentement vis-à-vis de cette ambassade et sont inquiets de la proximité de Trump avec un Ku Klux Klan dont l’antisémitisme n’est plus à prouver. Quant aux Européens, même s’il est tentant de les renvoyer à leurs responsabilités, notamment pour avoir contrebalancé l’injustice faite aux juifs d’Europe par une injustice faite aux Palestiniens, je ne suis pas pour l’idée d’imposer une facture aux peuples pour un passé qu’ils n’ont pas connu. Mais il y a un devoir de prise de position pour la justice et pour le droit. Quoi qu’on dise, les États ne doivent pas être que des monstres froids. Je pense que l’initiative d’une reconnaissance définitive qui pourrait venir de la France et d’autres pays amis pourrait permettre de prendre de court les apprentis sorciers.

Stéphane Aubouard

Journaliste

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article