Syrie: est-ce vraiment une bonne nouvelle?

Publié le par Patrick Kaczmarek

Les efforts de l'Arabie saoudite, du Qatar et de la Turquie expliquent les succès récents contre Bachar Al-Assad

Dans la guerre d'usure syrienne, les rebelles ont repris l'avantage. Après avoir penché en faveur du régime pendant plus d'un an et demi, entre le printemps 2013 et l'automne 2014, l'équilibre des forces est reparti en sens inverse. En l'espace d'un mois et demi, une nouvelle alliance militaire, Jaish Al-Fatah (Armée de la conquête), regroupant des combattants djihadistes, salafistes et proches des Frères musulmans, s'est emparée de la plus grande partie de la province d'Idlib, dans le nord de la Syrie, à la frontière avec la Turquie. De l'avis de plusieurs bons connaisseurs du champ de bataille syrien, ce retour en force de la rébellion est le produit dérivé du pacte scellé entre l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie, sous l'impulsion du roi saoudien Salman, arrivé au pouvoir en janvier. Après des années de défiance, ces trois puissances régionales, farouchement hostiles à Damas, ont entrepris d'unifier leurs efforts. Ce rapprochement, qui s'est traduit par de nouvelles livraisons d'armes, quoique en quantité encore limitée, participe de la diplomatie beaucoup plus active à l'initiative de Salman pour contrer l'influence croissante de Téhéran au Proche-Orient. De même qu'il a pris la tête de la coalition arabe partie en guerre au Yémen, contre les milices houthistes pro-iraniennes, le monarque saoudien paraît pressé de renforcer la main des rebelles, pour hâter un départ de Bachar Al-Assad, principal allié de la république islamique dans la région. Regain d'assurance des rebelles " Il y a un effet Salman très net, dit Ahmed Tomeh, le premier ministre du gouvernement intérimaire syrien, basé à Gaziantep, dans le sud de la Turquie. La coordination entre Riyad, Ankara et Doha s'est améliorée. L'intervention saoudienne au Yémen a rendu l'espoir aux Syriens. Ils pressentent qu'un changement important arrive. " " Le triangle Doha-Riyad-Ankara a commencé à fonctionner, considère Fayez Al-Doueiri, un analyste sécuritaire jordanien, en contact régulier avec les rebelles. Le positionnement de Salman comme nouveau commandant du monde arabe pousse les brigades à se réorganiser. " Ces deux sources, ainsi qu'une troisième, proche des autorités qataries, assurent que des armes antichars, notamment des missiles Tow, sont récemment parvenues entre les mains des anti-Assad. Aucune de ces sources ne fait état, cependant, d'arrivages massifs. Porte-parole de l'Armée syrienne libre (ASL), la branche modérée de l'insurrection, Oussama Abou Zayed assure même n'avoir " rien reçu depuis cinq mois ", tout en reconnaissant que " cela pourrait changer très bientôt. - Leurs - amis saoudiens, turcs et qataris song - eant - à - les - soutenir ". Signe du regain d'assurance des rebelles, la Coalition nationale syrienne (CNS), la principale formation d'opposition, a annoncé qu'elle n'enverra pas d'émissaire à Genève, où l'envoyé spécial de l'ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, ambitionne de consulter séparément tous les acteurs de la crise. " Assad bat en retraite ", clamait début mai Khaled Khodja, le président de la CNS, dans les colonnes de la presse turque. Les premiers signes du retournement de tendance remontent au 15 décembre 2014. Ce jour-là, le Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaida, et le mouvement islamiste Ahrar Al-Cham, les deux formations à l'origine du Jaish Al-Fatah, se sont emparés de la base militaire de Wadi Al-Deïf, l'un des principaux verrous du régime Assad, dans le nord du pays. Le basculement s'est confirmé durant l'hiver, quand les combattants du Front Al-Chamiya, la principale force rebelle d'Alep, proche des Frères musulmans, ont tué dans l'œuf l'offensive loyaliste visant à encercler la partie orientale de la ville. Et il s'est accéléré à partir de la fin mars, avec la chute, coup sur coup, d'Idlib, de Jisr Al-Choghour, à une vingtaine de kilomètres plus à l'ouest, et du camp militaire d'Al-Qarmeed, situé à proximité. Ce changement de dynamique a coïncidé avec l'émergence d'un nouvel ordre régional. A l'initiative de Salman, persuadé que les Frères constituent un danger beaucoup moins pressant pour l'Arabie saoudite que l'Iran, le royaume s'est réconcilié avec leurs deux parrains, le Qatar et la Turquie. Un geste qui s'est fait au détriment de deux Etats arabes les plus en pointe dans la lutte contre la confrérie, les Emirats arabes unis et l'Egypte, sur lesquels l'Arabie saoudite s'appuyait jusque-là. " L'axe Riyad-Abou Dhabi-Le Caire a cédé la place à l'axe Riyad-Ankara-Doha, qui est beaucoup plus favorable aux anti-Assad, décrypte Andreas Krieg, professeur au collège de défense du Qatar. L'émir Tamim a de nouveau les coudées franches en Syrie, alors qu'en 2014, de peur de susciter l'ire du roi Abdallah, il avait dû revoir à la baisse toutes ses ambitions dans ce pays. " Durant le sommet du Conseil de coopération du Golfe, tenu à Riyad la semaine dernière, Tamim a été photographié en plein conciliabule avec Mohamed Ben Nayef, le prince héritier, que l'on dit très qatarophile. La logique voudrait que la cité-Etat accroisse son aide à Ahrar Al-Cham et au Front Al-Chamiya, pendant que l'Arabie saoudite augmente son soutien aux salafistes de Jaish Al-Islam (Armée de l'islam), son principal client en Syrie, omniprésent dans la banlieue de Damas. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, quant à lui, devrait bientôt atterrir dans la capitale saoudienne, pour sa troisième visite de l'année. L'opposition de gauche l'accuse d'offrir un appui au moins logistique au Front Al-Nosra, ce que le chef d'Etat dément sans convaincre. Selon la presse turque, le monarque saoudien lui aurait promis de soutenir la création d'une zone d'interdiction aérienne dans le nord de la Syrie, une mesure réclamée de longue date par Ankara. Le nouvel alignement saoudo-qataro-turc ne certifie pas forcément que la chute du régime Assad se rapproche. Il garantit, en revanche, une intensification des combats à venir. Bien décidé à laver l'affront que constitue la perte de Jisr Al-Choghour, porte d'accès à la plaine côtière, Damas a lancé une contre-offensive pour reprendre la ville.

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