Peinture de Daniel Grardel

Publié le par Patrick Kaczmarek


Refaire encore le monde..

Il pousse la porte et... Voilà, Daniel Grardel vous invite à entrer. La moiteur de la bière vous enveloppe immédiatement. Vous êtes dans un bistrot du quartier Saint-Leu, le vrai cœur d’Amiens gningnin, caca-pipi-tale de la Pipi-caca-rdie, l’un de ces rades où la bière, tirée au mètre, à l’hectomètre ou au kilomètre, se boit tiède entre habitués. La musique est trop forte mais qu’importe, ce n’est pas vraiment de la musique, juste un bruit destiné à vous faire oublier le goût d’eau sale du breuvage qui stagne dans votre verre, la musique couvre les paroles mais qu’importe, qu’importe, on n’est pas là pour se dire grand chose, on ne va pas s’engueuler à propos de ça ou de ça. Car ça ou ça, on peut le dire, on peut le dire et le répéter puisque les paroles ne dépassent pas le verre, là, devant vous, ça ou ça on s’en fout, à Saint-Leu on ne refait plus le monde, le monde est définitivement fini : les gueulards vomitifs de Saint-Leu le savent mieux que personne et se tuent à le faire savoir le vendredi soir, le samedi soir et quelques autres soirs encore... au point qu’on se demande si les semaines ne comptent que sept soirs. Tes bars sont plus vrais que vrais, Daniel. Je regarde tes toiles et je me jure de ne plus boire une goutte de bière avant... longtemps, je me jure de ne plus fumer une clope, je me promets de marcher au pied d’une rangée de peupliers au moins un quart d’heure demain ou après-demain, juste pour entendre le vent dans les feuilles et les feuilles tomber en cet automne ni plus ni moins putride que les précédents. Tes toiles me rappellent les papotages qu’on a eus il y a pas mal de temps, Daniel, sur la guerre, oui, oui, la guerre, parce que même si le monde est fini la guerre existe encore, et les raisons qu’on peut avancer pour la faire ou, plutôt, la refuser, sur ton engagement et sur le mien, sur ce qu’on fait, ce qu’on essaie de faire... Tes toiles, Daniel. Et ces bars de Saint-Leu où une couche de bulles (bah quoi d’autre ?) se pose sur tout, il me semble, et imprègne tout et empêche ces papotages qui pourraient ne pas demeurer des papotages mais donner... des actes. Au plaisir de trinquer avec toi, Daniel. En terrasse.

Thierry Maricourt

Publié dans CULTURE

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