En diplomatie, pas de “condition préalable” Girard Renaud, Le Figaro du 19 décembre 2017

Publié le par Patrick Kaczmarek


S'il n'y a pas aujourd'hui de dialogue direct américano-nord-coréen, c'est à cause de la condition préalable qu'y met la Maison-Blanche : l'engagement par Pyongyang de renoncer à l'arme nucléaire.

L'Asie a connu, le 14 décembre 2017, un événement important: la réconciliation entre la Chine et la Corée du Sud. Pékin reprochait à Séoul d'avoir déployé sur son territoire un bouclier antimissile américain. Le premier objectif du THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) est bien sûr le programme balistique nucléaire de la Corée du Nord. Mais les Chinois y voyaient aussi un instrument d'érosion de leur dissuasion nucléaire. Ils avaient commencé à boycotter les produits sud-coréens et le tourisme au pays du Matin-Calme. Mais le président chinois a décidé de changer de stratégie, jugeant que les divergences, sur le dossier nucléaire nord-coréen, entre les Sud-Coréens et les Américains, lui offraient une occasion unique de mettre un coin entre les deux vieux alliés. Xi Jinping a donc invité à Pékin le président sud-coréen Moon Jae-in et l'a reçu avec tous les honneurs. Les deux chefs d'État ont répété qu'ils ne toléreraient pas qu'une guerre éclate dans la péninsule coréenne. Les Sud-Coréens souhaiteraient que les Chinois persuadent le régime stalinien de Pyongyang de renoncer à son programme d'expérimentations nucléaires et balistiques. Les Chinois souhaiteraient que les Sud-Coréens convainquent l'Amérique de diminuer ses manœuvres navales dans la région. En attendant, les présidents chinois et sud-coréen préconisent que les Américains et les Nord-Coréens se parlent directement, et tout de suite. Il y eut une époque où ils le faisaient. En 1994, ils signèrent un accord-cadre à Genève. En 1999, la Corée du Nord décréta un moratoire sur ses tests de missiles à longue portée. En juin 2000, le président Clinton allégea les sanctions commerciales existant contre la Corée du Nord depuis la guerre de 1950-1953. Ce dialogue fut rompu par l'arrivée au pouvoir des néoconservateurs à Washington, soucieux d'obtenir un «changement de régime» à Pyongyang. Bien que la Corée du Nord eût condamné publiquement les attentats du 11 septembre 2001, elle fut placée, aux côtés de l'Irak et de l'Iran, dans «l'axe du mal», lors du discours au Congrès du président Bush de janvier 2002. S'il n'y a pas aujourd'hui de dialogue direct américano-nord-coréen (pourtant ouvertement souhaité par le secrétaire général des Nations unies), c'est à cause de la condition préalable qu'y met la Maison-Blanche: l'engagement par Pyongyang de renoncer à l'arme nucléaire. Le 10 décembre 2017, dans un mouvement audacieux - qui fut contredit le lendemain par son patron Trump -, le secrétaire d'État Tillerson s'était dit ouvert à un dialogue sans condition avec les Coréens du Nord. Mais il avait aussitôt précisé qu'il n'accepterait aucune condition préalable de leur part (telle que l'arrêt des sanctions). L'exemple nord-coréen est une nouvelle preuve du rôle pernicieux que joue le «préalable» dans la diplomatie moderne. La pratique du «préalable» est une machine à rigidifier les positions de négociation et à faire gonfler les ego des dirigeants. C'est une sorte d'ultimatum: «Tu fais ça, ou je ne te parle plus!» C'est de l'anti-diplomatie. Le problème du nucléaire militaire iranien n'a pu être résolu que lorsque l'Administration Obama a renoncé, pour parler aux Iraniens, à exiger d'eux le préalable d'un abandon de tout enrichissement d'uranium. Un compromis a été trouvé, qui a aboutià l'accord bénéfique du 14 juillet 2015. Pour résoudre la crise syrienne, les puissances occidentales ont, à raison, dès 2012, proposé la constitution d'un gouvernement de transition à Damas, composé d'opposants et de baasistes. Mais elles ont, à tort, ajouté un «préalable»: que Bachar el-Assad quitte le pouvoir aussitôt. C'était irréaliste, car à cette époque Assad incarnait à lui seul l'autorité de l'État baasiste. Le «secret», antidote du «préalable» En mars 1991, nous accordant une interview dans son bureau de Tunis, Yasser Arafat avait, pour la première fois, accepté d'ouvrir un dialogue sans condition avec Israël. Peu après, allaient s'ouvrir à Oslo des négociations entre l'OLP (Organisation de libération de la Palestine) et l'État hébreu, qui aboutirent à la signature des accords historiques du 13 septembre 1993, sur la pelouse de la Maison-Blanche, où le premier ministre israélien serra la main du président de l'OLP. Un chemin de paix, qui fut interrompu par l'assassinat d'Yitzhak Rabin, par un extrémiste religieux juif, le 4 novembre 1995. Heureusement, il existe un antidote au rôle pernicieux du préalable dans la diplomatie contemporaine. C'est le secret. Les négociations israélo-palestiniennes en Norvège furent secrètes, comme le furent les pourparlers américano-iraniens de 2014 à Oman. Car le secret a trois grands mérites: il évite les affrontements d'ego sur la place publique ; il facilite l'assouplissement des positions de négociation ; il permet de tester des solutions vraiment originales.

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