La Turquie entend lutter contre l'EI pour mieux contrer les Kurdes

Publié le par Patrick Kaczmarek

Réuni à Ankara, lundi 29 juin, le Conseil national de sécurité (MGK) a examiné " en détail " les menaces potentielleset " les mesures de sécurité qui s'imposent le long de la frontière " turco-syrienne, selon un communiqué de la présidence. Cette annonce n'a fait que renforcer les spéculations de la presse locale sur une intervention militaire turque dans le nord de la Syrie. La réunion intervient quelques jours après le cri d'alarme lancé par le président Recep Tayyip -Erdogan à propos de la formation éventuelle d'un Etat kurde en -Syrie. Alarmé par les gains territoriaux des forces kurdes sur le terrain, le chef de l'Etat a rappelé vendredi 26 juin que son pays " ne permettrait jamais la formation d'un Etat " sur sa frontière sud, une allusion à la création redoutée d'une région autonome kurde au nord de la Syrie. " Nous sommes prêts à toutes les options en cas de menace à notre sécurité ", a renchéri le premier ministre, Ahmet Davutoglu, dimanche 28 juin. Détaillées par la presse turque, les mesures envisagées par Ankara consisteraient à déployer 18 000 soldats sur une bande de terre de 100 kilomètres de long sur 30 kilomètres de large, actuellement tenue par les djihadistes de l'Etat islamique (EI), l'Armée syrienne libre ou d'autres groupes rebelles entre les villes de Kobané et de Marea. La " ligne Marea ", comme écrit la presse, devrait permettre à l'armée turque de réaliser la " zone de sécurité " réclamée, en vain, par Recep Tayyip Erdogan depuis le début de la guerre en Syrie en 2011. Selon la presse turque, le président Erdogan et son premier ministre chercheraient à " faire d'une pierre deux coups ", débarrassant la zone de la présence de l'EI dans ses derniers bastions le long de la frontière tout en empêchant les forces kurdes syriennes de faire la jonction entre les cantons de -Kobané (reprise aux djihadistes en janvier 2015) et d'Afrin (au nord-ouest d'Alep). Lundi, l'agence de presse Dogan a diffusé une vidéo montrant des djihadistes en train de poser des mines et de creuser des tranchées aux abords de la ville de Djarabulus, au nez et à la barbe des soldats turcs postés de l'autre côté de la frontière. Impératif de prudence De cette façon, les Turcs éclaircissent leur position dans le conflit syrien. En octobre 2014, le président avait soulevé une vague d'indignation chez les Kurdes en déclarant que la ville de Kobané, encerclée par l'EI, " était sur le point de tomber " entre les mains des hommes en noir, un dénouement présenté comme inéluctable sans qu'il soit envisagé de le contrer. Cette déclaration avait sonné le début d'une vague de protestations sans précédent chez les Kurdes de Turquie, causant la mort d'une cinquantaine de manifestants à l'automne 2014. Aujourd'hui, M. Erdogan veut à tout prix empêcher l'EI de gagner du terrain, une façon de redorer son blason auprès des forces de la coalition. Membre de l'OTAN, la Turquie avait jusqu'ici rechigné à prendre une part active dans la lutte contre le " califat " autoproclamé par l'imam Abou Bakr Al-Bagdadi, voici un an, laissant passer armes et combattants étrangers à travers les 800 kilomètres de frontière qu'elle partage avec la Syrie. Soupçonnés par les Kurdes de complicité active avec l'EI, les officiels turcs mettaient en avant l'impératif de prudence, arguant du risque de représailles encourues par le pays, où les djihadistes disposeraient de plus de 3 000 " agents " dormants, selon une estimation récente des services secrets turcs (MIT). Avant tout, Ankara voit d'un très mauvais œil les récents gains territoriaux engrangés par les milices kurdes des Unités de protection du peuple (YPG, le bras armé du Parti de l'union démocratique - PYD - , affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, interdit en Turquie). En prenant Tal Abyad, un fief de l'EI à l'est de Kobané, les Kurdes syriens semblent en passe de concrétiser leur rêve d'une continuité territoriale entre les trois cantons kurdes de Syrie (Afrin, Kobané, Djézireh). Une fois l'armée turque installée à Marea, la jonction entre Kobané et Afrin sera impossible. Les Turcs n'ont qu'une crainte : voir se répéter le scénario irakien de formation d'une région autonome kurde, administrée de surcroît dans ce cas précis par un parti inféodé au PKK. D'autant que les combattants kurdes syriens, aidés dans leurs conquêtes territoriales par les frappes de l'aviation américaine, ont acquis une certaine légitimité auprès de la coalition anti-EI. Le chef du parti kurde syrien PYD, Saleh Muslim, a eu beau chercher à rassurer Ankara sur ses intentions, rien n'y a fait, tant l'imaginaire turc vit dans la hantise de la création d'un Kurdistan susceptible d'englober les régions kurdophones de Turquie. A l'évidence, l'armée turque n'est pas très chaude pour entrer en Syrie. Le chef d'état-major, Necdet Özel, a dit qu'il souhaitait attendre la formation du gouvernement de coalition issu des élections du 7 juin. " Entrer, c'est facile, mais comment en sortir ? Tout d'abord, il faut préparer le terrain diplomatique, sans cela, le pays sera en difficulté ", soulignait l'ancien chef d'état-major Ilker -Basbug dans une interview au journal nationaliste Sozcu.

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