Exigeons une réhabilitation collective des fusilles pour l'exemple

Publié le par Patrick Kaczmarek

Le 5 juin 2013 s’est tenu un rassemblement de deux cents personnalités venues d’horizons divers à la bourse du travail de Paris pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple de la « Grande Guerre ». Ces dernières années le 11 novembre est prétexte à des initiatives allant dans ce sens soutenues par dix-huit conseils généraux et de nombreux conseils municipaux. On dénombre plus de soixante cinq manifestations en France.

Réhabilitation collective et non juridique. Juridique, c’est du cas par cas voué à l’usure procédurière au fil des années, car plus de 20% des dossiers des Conseils de Guerre ont été détruits, car il n’y a plus aucun témoin de ces actes, car les dossiers qui restent ont tous été constitués à charge par les fusilleurs.

Collective par ce qu’il est impossible de différencier les cas des fusillés. Il faut appliquer le principe qu’il vaut mieux un coupable en liberté qu’un innocent condamné…. parce que ces assassinats ont été perpétrés par la France pour terroriser la conscience collective des troupes sur le front.

Grâce aux campagnes menées après la guerre, des condamnations ont déjà été levées, comme celle des «caporaux de Souain » dont l'instituteur Théophile Maupas, défendu avec opiniâtreté par sa veuve, Blanche Maupas. Mais beaucoup d'autres cas sont restés dans l'ombre et nombre d'injustices n'ont pas été réparées. Comme pour Jean Chapelant, sous-lieutenant de 23 ans ramené blessé dans ses lignes, en octobre 1914 dans la Somme, accusé de « capitulation en rase campagne », condamné à mort et fusillé, attaché sur un brancard. Ou Léonard Leymarie, soldat du 305e régiment d'infanterie, condamné à mort et fusillé dans l'Aisne en décembre 1914, pour mutilation volontaire et abandon de poste, alors que des témoignages indiquaient qu'il avait été blessé à la main à son poste de guetteur dans une tranchée.
Des familles demandent que la lumière soit faite sur le sort d'ancêtres qui d'après un fichier établi par l'administration des Anciens combattants, n'ont pas eu droit à la mention « mort pour la France ».

En 14-18 la vie d’un homme ne valait pas tripette. Les fusillés pour rien ne sont pas oubliés de leur famille, leurs blessures ne sont pas refermées, elles en font une question de justice. Entre septembre 1914 et septembre 1918 les conseils de guerre de l’armée française auraient prononcé deux mille quatre cents condamnations dont six cent soixante quinze furent effectives, les autres commuées en bagne. N’oublier pas les fusillés sans comparution que l’on sélectionnait en prenant un sur dix après les avoir mis en rang : les sinistres « décimations ». L’Italie a fait mieux sept cent cinquante exécutés, la Grande-Bretagne trois cents, l’Allemagne quarante huit chiffre qui est certainement minoré, le Reich ne retenant que l’hypothèse de l’armée vaillante combattante jusqu’au bout et ne pouvant être défaite que par la supériorité numérique et matérielle de l’ennemi. Ce qui ne doit absolument pas minimiser la sensibilité allemande anti-guerre quantitativement et qualitativement non négligeable révélé par des travaux d’historiens récemment publiés (se référer aux initiatives du mémorial de Péronne 80).

Il est proposé que la réhabilitation soit politique et affirmée par une déclaration du président de la République. Nous devons faire nôtre cette proposition. Dans une lettre adressée le 1er mars 2013, le président du Conseil général de l’Aisne, Yves Daudigny, invite le président de la République aux cérémonies du 11 novembre 2013 au Chemin des dames. La déclaration solennelle pour « une réhabilitation morale, civique ou citoyenne » des fusillés pourrait très bien jaillir ce jour-là.

Cent ans après les faits, après les discours de Lionel Jospin et de Nicolas Sarkozy, à l’instar du Royaume-Uni, du Canada et de la Nouvelle-Zélande, il faut maintenant franchir un pas vers la réhabilitation collective et l’inscription sur les monuments aux Morts. Sans cela, il n’y aura pas de véritable réintégration de ces soldats dans notre mémoire collective. Il existe une majorité au Parlement pour cela. Monsieur le Président, encore un effort vous qui avez voté en tant que Président du Conseil général un vœu qui le demandait !

La première fois qu'un Premier ministre, Lionel Jospin, l'avait exprimée, en 1998, elle avait suscité de vives polémiques. Depuis, dans son discours de Douaumont le 11 novembre 2008, le président Sarkozy l'a reprise en partie à son compte, et, un an plus tard, à l'Arc de Triomphe, il a évoqué de nouveau les « fusillés pour l'exemple qui attendent encore qu'on leur rende justice ». Sarkozy à la limite de lui-même a concédé « que beaucoup alors ils ne s’étaient pas déshonorés »… mais « étaient allés à l’extrême limite de leur force ». Lionel Jospin dix ans plus tôt à Craonne avait affirmé que « les fusillés par l’exemple devaient réintégrer notre mémoire collective nationale. Le 1er octobre 2013, un comité d’historiens présidé par Antoine Prost a planché pour le gouvernement sur le sujet et a remis au ministre Kader Arif en préconisant « une déclaration solennelle éventuellement renforcée d’un projet pédagogique ». Si ce rapport est une bonne synthèse historique et évoque l’ensemble des possibilités en affirmant qu’il faut faire quelque chose, il semble écarter toute réhabilitation collective au nom de « la défense nationale » sans parler de la caricature qui consiste à identifier les soldats qui subirent les tranchées à … Mata Hari.

Il évoque une réhabilitation générale de tous les fusillés, même des condamnés de droit commun. «Une solution inenvisageable», estime pour sa part l'UNC (Union nationale des combattants). «Sur les monuments aux morts, les noms de violeurs seraient alors au côté des noms de soldats morts pour la France. C'est impensable», indique son directeur, le général Schmitt, qui soutient une autre piste: la réhabilitation au cas par cas. Mais cette solution se heurte à l'état incomplet des archives militaires.

L'autre possibilité qui semble avoir la préférence du groupe d'historiens serait : «Déclarer que ces soldats sont, eux aussi, d'une certaine façon, mots pour la France ce qui constituerait une réhabilitation morale, civique ou citoyenne». Or pour le Comité national d'entente, qui, fédérant plusieurs associations civiles et militaires, est hostile à toute forme de réhabilitation, ces 600 hommes «ont fléchi». «On peut le comprendre mais ne pas l'admettre. Ceux-là ne sont pas morts pour la France», assure son responsable, le général Delort.

En fait, ils tentent d’escamoter la problématique. Cent ans après, il faut taire l’absurdité de la guerre et protéger coûte que coûte la grande muette, la logique des conseils de guerre et l’arbitraire militaire. Il est évident que tout est fait pour brouiller le débat en osant même parler de réhabilitation de droit commun. Non ces fusillés n’étaient pas en quelque sorte ordinaires et qui auraient eu un jour un moment de faiblesse ou de ras le bol comme le prétend le rapport. Ils ont été assassinés par la France pour terroriser la conscience collective…. La Ligue des Droits de l’Homme et la Libre Pensée ont rappelé que cette question a constitué leur grand débat historique après celui de la réhabilitation de Dreyfus. L’enjeu idéologique est exacerbé dans ce débat « on peut le comprendre mais pas l’admettre. Ceux là ne sont pas morts pour la France » ose assurer le général de corps d’armée Delort responsable du Comité National d’Entente qui souhaite qu'un plus large consensus se fasse au Parlement autour de l'idée maîtresse de rendre hommage le 11 novembre à tous les Morts pour la France, projet qu’il propose depuis 13 mois. Il rappelle une fois de plus qu’il demande aucune suppression de commémorations existantes.

Très attentif aux travaux des parlementaires le Comité d'entente élargi, encourage la représentation nationale à donner, à l'occasion du vote de cette loi, un exemple du rassemblement des Français dans l'hommage aux Morts pour la France, tombés pour sa défense, pour la Liberté, et dans l'exécution des missions de la République. »

Un groupe de députés a déposé le 24 janvier 2012 une loi " relative à la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 ".

Cette proposition de loi déposée est notamment portée par Jean-Jacques Candelier, député du Nord et secrétaire de la commission de la défense nationale et des forces armées (Gauche démocrate et républicaine), qui s'était opposé à la tribune au projet présidentiel de transformation des cérémonies du 11 novembre en une journée de commémoration de l'ensemble des morts pour la France. Ce qui signifie qu'on mélange dans cet hommage d'une part les poilus et tous les soldats du contingent, victimes de guerres imposées par le talon de fer du Capital, avec, d'autre part, par exemple, les soldats de métier, qui ont servi et servent à maintenir l'ordre colonialiste, ainsi que le capitalisme dont il procède, sans oublier toutes les idéologies religieuses qui l'assortissent.

Exiger la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple est un devoir pacifiste. Des pétitions circulent. Leur nom doit figurer sur les monuments morts de nos communes. Nos députés doivent interpeller le Président. Ce combat n’est pas d’arrière garde ou passéiste. Il éclaire nos consciences sur les « Sentiers de la Gloire ».

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